Le droit à la preuve

Droit à la preuve ou droit de la preuve? Loyauté de la preuve? Retour rapide sur une difficulté fondamentale de la procédure judiciaire: comment prouver ses allégation?

En droit civil, la preuve d’un fait est en principe libre. La
charge de prouver une allégation pèse sur la partie qui la fait (art. 9 code de
procédure civile). En matière de droit de la famille cela se comprend
parfaitement car, par opposition aux problématiques contractuelles où il devrait
exister un écrit qui fonde la relation entre les parties, les problématiques
que nous envisageons découlent principalement de circonstances.

 

Par exemple, deux époux sont en instance de divorce. L’Époux
n° 1 souhaite demander un divorce pour faute pour adultère par l’Époux n° 2.

Quoique l’Époux n° 1 a la certitude que l’Époux n° 2 est infidèle,
il ne peut le démontrer.

La preuve étant libre, peut-il, par lui-même ou en recourant
à un détective privé, suivre à son insu son époux et photographier ou
enregistrer des situations suspectes ? Peut-il s’introduire, sans l’autorisation
de son époux, dans le téléphone de ce dernier pour prendre connaissance de ses
messages ?

L’évolution récente de cette problématique démontre un mouvement d’un droit de la preuve – une règlementation de l’usage des moyens de preuve – à un droit à la preuve qui, sans être absolu, gagne indéniablement en importance ces dernières années. Nous passons d’un système qui était tout de même assez restrictif à un système libéral.

 

Traditionnellement, et schématiquement, il existe deux restrictions au recours à une preuve :

  • ·       La preuve illicite :

Reprenons l’exemple du divorce. L’article 259 du Code civil dispose : « Les faits invoqués en tant que causes de divorce ou comme défenses à une demande peuvent être établis par tout mode de preuve, y compris l’aveu. Toutefois, les descendants ne peuvent jamais être entendus sur les griefs invoqués par les époux ».

Autrement dit, les enfants du couple en instance de divorce, qu’ils soient mineurs ou majeurs, ne peuvent être auditionnés ou attester sur les causes invoqués par les époux pour justifier leur demande de divorce. Ce qui ne veut pas dire que les mineurs ne sont jamais entendus devant les juridictions civiles (cliquez ici).

De même, l’article 259-2 du même code dispose : « Les constats dressés à la demande d’un époux sont écartés des débats s’il y a eu violation de domicile ou atteinte illicite à l’intimité de la vie privée ». Ce qui n’est pas explicitement interdit étant autorisé, il faut en comprendre que le recours à un détective privé ou à des filatures n’est pas illicite dès lors qu’il n’y a aucune infraction dans l’intimité de la cible. Autrement dit, l’Époux n° 1 pourra utiliser des photos compromettantes de l’Époux n° 2 prises à la terrasse d’un café par opposition à une photo où le photographe a dû escalader un mur pour pouvoir photographier l’Époux n° 2 sur son balcon.

  • ·       La preuve déloyale :

La loyauté n’est pas expressément visée par une disposition légale et il est d’usage de la fonder sur l’article 9 du Code de procédure civile. Il s’agit de ne pas admettre dans les débats judiciaires des preuves qui auraient été obtenues d’une manière qui serait contraire aux valeurs de l’ordre judiciaire et plus largement de l’état de droit.  

Ainsi, le 7 janvier 2011, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation statuait : « que l’enregistrement d’une communication téléphonique réalisé à l’insu de l’auteur des propos tenus constitue un procédé déloyal rendant irrecevable sa production à titre de preuve ».

Cette interprétation était avantageuse pour l’Époux adultère. Imaginons que l’Époux n° 1, ne trouvant pas d’autre moyen de prouver l’adultère décide de confronter l’Époux n° 2 pour l’enregistrer, à son insu, quand il admettra ses méfaits. Cette jurisprudence laisse entendre que l’Époux n° 2 pourrait demander que cet enregistrement soit écarté des débats car pris à son insu.

Cette introduction de la notion de loyauté de la preuve nous a fait rentrer dans une nouvelle ère avec, de manière croissante jusqu’à aujourd’hui, un contrôle de proportionnalité du recours à une preuve dont la loyauté est questionnée. Il s’agit alors de trouver un équilibre, propre à chaque cas d’espèce, entre le droit de démontrer son argument et le droit de se défendre dans le cadre d’un procès équitable.

Cette difficile équation est utilisée en droit de la famille depuis une dizaine d’années.

Cette difficile équation est utilisée en droit de la famille depuis une dizaine d’années.

Par exemple, un litige existait au sein d’une fratrie pour la succession des parents. Le frère, et gérant de l’indivision successorale, retrouve dans les papiers des parents défunts, une lettre importante pour le partage de l’indivision. Il la communique dans le cadre de la procédure judiciaire sans autorisation de ses deux sœurs et de l’auteur de la lettre. L’arrêt d’appel écarte cette missive des débats au motif que sa production serait contraire au respect de la vie privée et du secret des correspondances. Cet arrêt est cassé : « Attendu qu’en statuant ainsi, sans rechercher si la production litigieuse n’était pas indispensable à l’exercice de son droit à la preuve, et proportionnée aux intérêts antinomiques en présence, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision » (Cass. Civ. 1ère, 5 avril 2012, n° 11-14.177).

Ainsi, la question n’est plus de savoir si une preuve est loyale mais si le droit à la preuve de celui qui l’a produit n’est pas, en l’espèce, plus important que l’exigence de loyauté de la preuve car autrement sans elle, il ne pourrait correctement se défendre.

Ce nécessaire recours au contrôle de proportionnalité en matière probatoire a été récemment confirmé par l’Assemblée plénière de la Cour de cassation, son instance la plus solennelle, le 22 décembre 2023 : « il y a lieu de considérer désormais que, dans un procès civil, l’illicéité ou la déloyauté dans l’obtention ou la production d’un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l’écarter des débats. Le juge doit, lorsque cela lui est demandé, apprécier, si une telle preuve porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence, le droit à la preuve pouvant justifier la production d’éléments portant atteinte à d’autres droits à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi ».

La conclusion de cette présentation très rapide d’une difficulté essentielle du procès civil qu’est la communication d’un moyen de preuve est que c’est une question éminemment difficile et relative. Il est important de se tourner vers un professionnel du droit pour pouvoir efficacement se défendre, sans risquer de tomber dans une des nombreuses embûches de la procédure civile.

Le Cabinet ADELUS AVOCAT saura vous aider à construire vos dossiers et à vous défendre au mieux.

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